par Michel Rocard, ancien premier ministre, et Pierre Larrouturou, économiste (Mis à jour le 02.01.12)
Ce sont des chiffres incroyables. On savait déjà que, fin 2008, George Bush et Henry Paulson avaient mis sur la table 700 milliards de dollars (540 milliards d'euros) pour sauver les banques américaines. Une somme colossale. Mais un juge américain a récemment donné raison aux journalistes de Bloomberg qui demandaient à leur banque centrale d'être transparente sur l'aide qu'elle avait apportée elle-même au système bancaire. Après avoir épluché 20 000 pages de documents divers, Bloomberg montre que la Réserve fédérale a secrètement prêté aux banques en difficulté la somme de 1 200 milliards au taux incroyablement bas de 0,01 %.
Au même moment, dans de nombreux pays, les peuples souffrent des plans d'austérité imposés par des gouvernements auxquels les marchés financiers n'acceptent plus de prêter quelques milliards à des taux d'intérêt inférieurs à 6, 7 ou 9 % ! Asphyxiés par de tels taux d'intérêt, les gouvernements sont "obligés" de bloquer les retraites, les allocations familiales ou les salaires des fonctionnaires et de couper dans les investissements, ce qui accroît le chômage et va nous faire plonger bientôt dans une récession très grave.
Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent habituellement à 1 % auprès des banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 %, mais que, en cas de crise, certains États soient obligés au contraire de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ? "Être gouverné par l'argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé", affirmait Roosevelt. Il avait raison. Nous sommes en train de vivre une crise du capitalisme dérégulé qui peut être suicidaire pour notre civilisation. Comme l'écrivent Edgar Morin et Stéphane Hessel dans Le Chemin de l'espérance (Fayard, 2011), nos sociétés doivent choisir : la métamorphose ou la mort ?
Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour ouvrir les yeux ? Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour comprendre la gravité de la crise et choisir ensemble la métamorphose, avant que nos sociétés ne se disloquent ? Nous n'avons pas la possibilité ici de développer les dix ou quinze réformes concrètes qui rendraient possible cette métamorphose. Nous voulons seulement montrer qu'il est possible de donner tort à Paul Krugman quand il explique que l'Europe s'enferme dans une "spirale de la mort". Comment donner de l'oxygène à nos finances publiques ? Comment agir sans modifier les traités, ce qui demandera des mois de travail et deviendra impossible si l'Europe est de plus en plus détestée par les peuples ?
Angela Merkel a raison de dire que rien ne doit encourager les gouvernements à continuer la fuite en avant. Mais l'essentiel des sommes que nos États empruntent sur les marchés financiers concerne des dettes anciennes. En 2012, la France doit emprunter quelque 400 milliards : 100 milliards qui correspondent au déficit du budget (qui serait quasi nul si on annulait les baisses d'impôts octroyées depuis dix ans) et 300 milliards qui correspondent à de vieilles dettes, qui arrivent à échéance et que nous sommes incapables de rembourser si nous ne nous sommes pas réendettés pour les mêmes montants quelques heures avant de les rembourser.
Faire payer des taux d'intérêt colossaux pour des dettes accumulées il y a cinq ou dix ans ne participe pas à responsabiliser les gouvernements mais à asphyxier nos économies au seul profit de quelques banques privées : sous prétexte qu'il y a un risque, elles prêtent à des taux très élevés, tout en sachant qu'il n'y a sans doute aucun risque réel, puisque le Fonds européen de stabilité financière (FESF) est là pour garantir la solvabilité des États emprunteurs...
Il faut en finir avec le deux poids, deux mesures : en nous inspirant de ce qu'a fait la banque centrale américaine pour sauver le système financier, nous proposons que la "vieille dette" de nos États puisse être refinancée à des taux proches de 0 %.Il n'est pas besoin de modifier les traités européens pour mettre en œuvre cette idée : certes, la Banque centrale européenne (BCE) n'est pas autorisée à prêter aux États membres, mais elle peut prêter sans limite aux organismes publics de crédit (article 21.3 du statut du système européen des banques centrales) et aux organisations internationales (article 23 du même statut). Elle peut donc prêter à 0,01 % à la Banque européenne d'investissement (BEI) ou à la Caisse des dépôts, qui, elles, peuvent prêter à 0,02 % aux États qui s'endettent pour rembourser leurs vieilles dettes.
Rien n'empêche de mettre en place de tels financements dès janvier ! On ne le dit pas assez : le budget de l'Italie présente un excédent primaire. Il serait donc à l'équilibre si l'Italie ne devait pas payer des frais financiers de plus en plus élevés. Faut-il laisser l'Italie sombrer dans la récession et la crise politique, ou faut-il accepter de mettre fin aux rentes des banques privées ? La réponse devrait être évidente pour qui agit en faveur du bien commun.
Le rôle que les traités donnent à la BCE est de veiller à la stabilité des prix. Comment peut-elle rester sans réagir quand certains pays voient le prix de leurs bons du Trésor doubler ou tripler en quelques mois ? La BCE doit aussi veiller à la stabilité de nos économies. Comment peut-elle rester sans agir quand le prix de la dette menace de nous faire tomber dans une récession "plus grave que celle de 1930", d'après le gouverneur de la Banque d'Angleterre ?
Si l'on s'en tient aux traités, rien n'interdit à la BCE d'agir avec force pour faire baisser le prix de la dette. Non seulement rien ne lui interdit d'agir, mais tout l'incite à le faire. Si la BCE est fidèle aux traités, elle doit tout faire pour que diminue le prix de la dette publique. De l'avis général, c'est l'inflation la plus inquiétante !
En 1989, après la chute du Mur, il a suffi d'un mois à Helmut Kohl, François Mitterrand et aux autres chefs d'État européens pour décider de créer la monnaie unique. Après quatre ans de crise, qu'attendent encore nos dirigeants pour donner de l'oxygène à nos finances publiques ? Le mécanisme que nous proposons pourrait s'appliquer immédiatement, aussi bien pour diminuer le coût de la dette ancienne que pour financer des investissements fondamentaux pour notre avenir, comme un plan européen d'économie d'énergie.
Ceux qui demandent la négociation d'un nouveau traité européen ont raison : avec les pays qui le veulent, il faut construire une Europe politique, capable d'agir sur la mondialisation ; une Europe vraiment démocratique comme le proposaient déjà Wolfgang Schäuble et Karl Lamers en 1994 ou Joschka Fischer en 2000. Il faut un traité de convergence sociale et une vraie gouvernance économique. Tout cela est indispensable.
Mais aucun nouveau traité ne pourra être adopté si notre continent s'enfonce dans une "spirale de la mort" et que les citoyens en viennent à détester tout ce qui vient de Bruxelles. L'urgence est d'envoyer aux peuples un signal très clair : l'Europe n'est pas aux mains des lobbies financiers. Elle est au service des citoyens.
Keynes Was Right
By PAUL KRUGMAN Published: December 29, 2011
“The boom, not the slump, is the right time for austerity at the Treasury.” So declared John Maynard Keynes in 1937, even as F.D.R. was about to prove him right by trying to balance the budget too soon, sending the United States economy — which had been steadily recovering up to that point — into a severe recession. Slashing government spending in a depressed economy depresses the economy further; austerity should wait until a strong recovery is well under way.
Unfortunately, in late 2010 and early 2011, politicians and policy makers in much of the Western world believed that they knew better, that we should focus on deficits, not jobs, even though our economies had barely begun to recover from the slump that followed the financial crisis. And by acting on that anti-Keynesian belief, they ended up proving Keynes right all over again.
In declaring Keynesian economics vindicated I am, of course, at odds with conventional wisdom. In Washington, in particular, the failure of the Obama stimulus package to produce an employment boom is generally seen as having proved that government spending can’t create jobs. But those of us who did the math realized, right from the beginning, that the Recovery and Reinvestment Act of 2009 (more than a third of which, by the way, took the relatively ineffective form of tax cuts) was much too small given the depth of the slump. And we also predicted the resulting political backlash.
So the real test of Keynesian economics hasn’t come from the half-hearted efforts of the U.S. federal government to boost the economy, which were largely offset by cuts at the state and local levels. It has, instead, come from European nations like Greece and Ireland that had to impose savage fiscal austerity as a condition for receiving emergency loans — and have suffered Depression-level economic slumps, with real G.D.P. in both countries down by double digits.
This wasn’t supposed to happen, according to the ideology that dominates much of our political discourse. In March 2011, the Republican staff of Congress’s Joint Economic Committee released a report titled “Spend Less, Owe Less, Grow the Economy.” It ridiculed concerns that cutting spending in a slump would worsen that slump, arguing that spending cuts would improve consumer and business confidence, and that this might well lead to faster, not slower, growth.
They should have known better even at the time: the alleged historical examples of “expansionary austerity” they used to make their case had already been thoroughly debunked. And there was also the embarrassing fact that many on the right had prematurely declared Ireland a success story, demonstrating the virtues of spending cuts, in mid-2010, only to see the Irish slump deepen and whatever confidence investors might have felt evaporate.
Amazingly, by the way, it happened all over again this year. There were widespread proclamations that Ireland had turned the corner, proving that austerity works — and then the numbers came in, and they were as dismal as before.
Yet the insistence on immediate spending cuts continued to dominate the political landscape, with malign effects on the U.S. economy. True, there weren’t major new austerity measures at the federal level, but there was a lot of “passive” austerity as the Obama stimulus faded out and cash-strapped state and local governments continued to cut.
Now, you could argue that Greece and Ireland had no choice about imposing austerity, or, at any rate, no choices other than defaulting on their debts and leaving the euro. But another lesson of 2011 was that America did and does have a choice; Washington may be obsessed with the deficit, but financial markets are, if anything, signaling that we should borrow more.
Again, this wasn’t supposed to happen. We entered 2011 amid dire warnings about a Greek- style debt crisis that would happen as soon as the Federal Reserve stopped buying bonds, or the rating agencies ended our triple-A status, or the superdupercommittee failed to reach a deal, or something. But the Fed ended its bond-purchase program in June; Standard & Poor’s downgraded America in August; the supercommittee deadlocked in November; and U.S. borrowing costs just kept falling. In fact, at this point, inflation-protected U.S. bonds pay negative interest: investors are willing to pay America to hold their money.
The bottom line is that 2011 was a year in which our political elite obsessed over short- term deficits that aren’t actually a problem and, in the process, made the real problem — a depressed economy and mass unemployment — worse.
The good news, such as it is, is that President Obama has finally gone back to fighting against premature austerity — and he seems to be winning the political battle. And one of these years we might actually end up taking Keynes’s advice, which is every bit as valid now as it was 75 years ago.
Nobody Understands Debt
By PAUL KRUGMAN Published: January 1, 2012
In 2011, as in 2010, America was in a technical recovery but continued to suffer from disastrously high unemployment. And through most of 2011, as in 2010, almost all the conversation in Washington was about something else: the allegedly urgent issue of reducing the budget deficit.
This misplaced focus said a lot about our political culture, in particular about how disconnected Congress is from the suffering of ordinary Americans. But it also revealed something else: when people in D.C. talk about deficits and debt, by and large they have no idea what they’re talking about — and the people who talk the most understand the least.
Perhaps most obviously, the economic “experts” on whom much of Congress relies have been repeatedly, utterly wrong about the short-run effects of budget deficits. People who get their economic analysis from the likes of the Heritage Foundation have been waiting ever since President Obama took office for budget deficits to send interest rates soaring. Any day now!
And while they’ve been waiting, those rates have dropped to historical lows. You might think that this would make politicians question their choice of experts — that is, you might think that if you didn’t know anything about our postmodern, fact-free politics.
But Washington isn’t just confused about the short run; it’s also confused about the long run. For while debt can be a problem, the way our politicians and pundits think about debt is all wrong, and exaggerates the problem’s size.
Deficit-worriers portray a future in which we’re impoverished by the need to pay back money we’ve been borrowing. They see America as being like a family that took out too large a mortgage, and will have a hard time making the monthly payments.
This is, however, a really bad analogy in at least two ways.
First, families have to pay back their debt. Governments don’t — all they need to do is ensure that debt grows more slowly than their tax base. The debt from World War II was never repaid; it just became increasingly irrelevant as the U.S. economy grew, and with it the income subject to taxation.
Second — and this is the point almost nobody seems to get — an over-borrowed family owes money to someone else; U.S. debt is, to a large extent, money we owe to ourselves.
This was clearly true of the debt incurred to win World War II. Taxpayers were on the hook for a debt that was significantly bigger, as a percentage of G.D.P., than debt today; but that debt was also owned by taxpayers, such as all the people who bought savings bonds. So the debt didn’t make postwar America poorer. In particular, the debt didn’t prevent the postwar generation from experiencing the biggest rise in incomes and living standards in our nation’s history.
But isn’t this time different? Not as much as you think.
It’s true that foreigners now hold large claims on the United States, including a fair amount of government debt. But every dollar’s worth of foreign claims on America is matched by 89 cents’ worth of U.S. claims on foreigners. And because foreigners tend to put their U.S. investments into safe, low-yield assets, America actually earns more from its assets abroad than it pays to foreign investors. If your image is of a nation that’s already deep in hock to the Chinese, you’ve been misinformed. Nor are we heading rapidly in that direction.
Now, the fact that federal debt isn’t at all like a mortgage on America’s future doesn’t mean that the debt is harmless. Taxes must be levied to pay the interest, and you don’t have to be a right-wing ideologue to concede that taxes impose some cost on the economy, if nothing else by causing a diversion of resources away from productive activities into tax avoidance and evasion. But these costs are a lot less dramatic than the analogy with an overindebted family might suggest.
And that’s why nations with stable, responsible governments — that is, governments that are willing to impose modestly higher taxes when the situation warrants it — have historically been able to live with much higher levels of debt than today’s conventional wisdom would lead you to believe. Britain, in particular, has had debt exceeding 100 percent of G.D.P. for 81 of the last 170 years. When Keynes was writing about the need to spend your way out of a depression, Britain was deeper in debt than any advanced nation today, with the exception of Japan.
Of course, America, with its rabidly antitax conservative movement, may not have a government that is responsible in this sense. But in that case the fault lies not in our debt, but in ourselves.
So yes, debt matters. But right now, other things matter more. We need more, not less, government spending to get us out of our unemployment trap. And the wrongheaded, ill- informed obsession with debt is standing in the way.