Décision de la Cour de justice dans le domaine des langues : la Cour prend-elle le risque de bloquer tous les concours et de paralyser EPSO ?
Le 24 septembre 2015, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a annulé trois concours EPSO (EPSO/AST/125/12; EPSO/AST/126/12 et EPSO/AD/248/13) dans deux arrêts (Aff. T-124/13 Italie/Commission et aff. T-191/13 Espagne/Commission).
Les trois concours en référence exigeaient des candidats qu’ils choisissent une seconde langue parmi les langues suivantes: français, anglais ou allemand. Cette exigence était motivée par la nécessité que les lauréats soient immédiatement opérationnels et capables de communiquer efficacement au quotidien.
En fait, dans ces trois affaires, le TUE a appliqué l’arrêt de principe de la Cour de justice rendu dans l’affaire République italienne / Commission (affaire C-566/10-P) du 27 novembre 2010. (voir plus bas)
Avant de rappeler les principes dégagés par cet arrêt, il convient de préciser le cadre juridique applicable au domaine linguistique pour les sélections de l’UE. Le règlement n°1/58 du Conseil du 15 avril 1958 ne dit mot sur le régime linguistique au sein des institutions mêmes. Seuls les protocoles CEE et Euratom qui définissent le régime linguistique, disposent que les institutions peuvent déterminer les modalités de leur régime linguistique, dans un règlement intérieur. Le statut ne comprend pas non plus de dispositions particulières relatives au régime linguistique propre à chaque institution. En revanche, il dispose que chaque candidat à un concours doit posséder la maîtrise d’au moins deux langues communautaires, pour devenir fonctionnaire, ainsi qu’une troisième langue pour pouvoir bénéficier d’une première promotion.
Dans ce contexte, l’arrêt de la Cour de justice du 27 novembre 2010 a posé un certain nombre de principes applicables à cette matière. Tout d’abord, il a validé la rationalisation linguistique, intervenue dans le contexte de la modernisation des processus de sélection, qui va à rebours du multilinguisme intégral, suite à la décision arrêtée par EPSO qui fixe le régime linguistique des concours et sélections à trois langues. La Cour a motivé sa position en considérant que les concours et sélections s’adressent à une catégorie particulière de citoyens européens; ceux qui souhaitent se mettre au service des institutions européennes. Par conséquent, il ne lui a pas semblé excessif de leur demander une maîtrise des langues communautaires en rapport avec les activités des institutions. Toutefois, la Cour a considéré que la publication des concours devait se faire dans toutes les langues officielles de l’Union européenne. Elle a aussi établi que l’intérêt du service ou les exigences du poste ou de certaines catégories de postes pouvaient nécessiter l’utilisation de certaine(s) langue(s) en particulier. Ainsi, la Cour a considéré comme légale l’utilisation de régimes linguistiques restreints voir monolingues, pour autant que leur utilisation soit dûment justifiée, sur base de critères clairs, objectifs et prévisibles.
Dans le cas d’espèce, le TUE a appliqué cette jurisprudence de la Cour et a donc annulé les trois concours contestés, sur base de deux motifs.
En effet, la Cour, dans son arrêt de novembre 2010, considère que la communication entre EPSO et les candidats doit se faire dans toutes les langues officielles de l’Union européenne. La limitation des langues de communication à trois langues constitue une violation du règlement du Conseil n°1/58 du 15 avril 1958, selon la Cour et le TUE. Ce motif est en lui seul suffisant pour justifier l’annulation des trois concours par le Tribunal, sans examiner plus avant la discrimination sur base des langues. En l’absence de règlement interne qui définirait un régime linguistique spécifique au sein notamment de la Commission, le règlement n°1/58 s’applique et cette jurisprudence pourrait avoir des conséquences plus vastes dans les relations entre les fonctionnaires et agents et les institutions.
Toutefois, le TUE se prononce également sur la limitation des langues prévue par le concours. Dans l’arrêt de novembre 2010, la Cour a accepté la limitation des langues de concours dans l’intérêt du service; pour autant que cette limitation soit dûment justifiée sur base de critères clairs, objectifs et prévisibles, sous le contrôle éventuel du juge communautaire. Le Tribunal a considéré que la Commission n’a pas prouvé que la limitation en cause réponde à l’intérêt du service. Ainsi, l’obligation de choisir une des trois langues mentionnées n’est ni objectivement justifiée, ni proportionnée à l’objectif de la Commission: recruter des fonctionnaires et des agents immédiatement opérationnels.
Les institutions doivent donc se conformer à la demande du juge de communiquer avec les candidats dans toutes les langues de l’UE; ce qui n’est pas sans conséquence sur la gestion des concours et sélections et pourrait avoir pour conséquence d’allonger considérablement les délais de gestion de ces concours. Le second motif d’annulation est tout aussi délicat à gérer. On peut d’ailleurs se demander s’il appartient au juge de rentrer dans le détail de la motivation de l’utilisation d’un régime linguistique restreint et de l’intérêt du service, sauf à contrôler l’erreur manifeste d’appréciation. Il appartient, en principe, aux institutions de définir l’intérêt du service et de déterminer le régime juridique des concours le plus à même d’y répondre.
Annexe – article daté de novembre 2010
Dans l’arrêt C-556/10 P (République d’Italie/Commission) la Cour considère que la publication des avis de concours de recrutement des fonctionnaires européens uniquement en trois langues ainsi que le régime linguistique des épreuves de sélection dans l’une de ses trois langues est discriminatoire et n’est pas compatible avec le règlement 1/58 sur l’utilisation des langues. La Cour ajoute que la limitation du choix de la deuxième langue d’un concours doit se fonder sur des critères clairs, objectifs et prévisibles.
Concrètement, la Cour annule deux avis de concours publiés en 2007 sur cette base, sans bien entendu remettre en cause les résultats de ces deux concours, sur base du principe de confiance légitime des candidats.
Bien entendu, U4U se réjouit de la bonne application du droit. Toutefois, il faut aller plus loin dans le raisonnement.
Les mesures sur les langues ont été mises en place pour permettre de sélectionner les candidats dans toutes l’UE, sur base des langues communément utilisées par les fonctionnaires de l’UE (FR, EN, DE). Si EPSO ne peut plus utiliser un tel système ; il devra revenir à une approche multilingue qui – si elle est juste- est très coûteuse, alors que nous traversons une période de crise et d’économies qui sont exigées.
Si EPSO est définitivement paralysé, il faut se demander à qui profite le crime ? Aux États membres, bien sûr! Ils vont essayer – comme en 2004- de récupérer la main sur les tests de présélection, au minimum et il n’existera plus alors de problème de langues. Mais, des institutions communautaires qui ne maîtrisent pas leur recrutement, c’est la porte ouverte à tous les abus.
Première conséquence de l’arrêt EPSO; il aurait bloqué la publication du prochain concours AST afin de déterminer la conduite à tenir.
Parfois, le mieux peut être l’ennemi du bien commun!
Échange de courriers sur la situation des enseignants de langue
Lettre à la DG ADMIN du 16 juin 2009
Vive inquiétude chez les enseignants de langue des Institutions européennes
Madame,
Vous savez que les enseignants qui assurent les formations linguistiques aux I.E. sont actuellement mis sous pression par Communicaid, le nouveau contractant principal, et ses nouvelles conditions de travail. Vous savez aussi que 4000 fonctionnaires communautaires et plusieurs syndicats se sont activement impliqués et ont signé une pétition de soutien afin de protéger les conditions de travail et de rémunération des enseignants et donc la qualité des formations.
Vous avez d’ailleurs reçu, il y a plusieurs semaines, une demande de concertation. Nous croyons savoir que cette demande a été acceptée et qu’un débat sera bientôt organisé dans l’intérêt des formations mais aussi des enseignants qui accomplissent une tâche d’importance pour la carrière des fonctionnaires.
Or, nous sommes préoccupés parce qu’aucune date n’a encore été fixée pour cette concertation. Les sessions intensives commencent le 20 juillet et les conditions que se permet d’offrir Communicaid continuent de soulever de sérieux problèmes et menacent la qualité des cours.
Entre autres aspects inacceptables, Communicaid méconnaît les réalités légales du statut d’indépendant en Belgique et propose des clauses qui sont en contradiction avec ce statut (préavis de 3 mois, liens de subordination indiscutables). De plus, l’actuel contrat proposé, que vous trouverez en pièce jointe, instaure un système de pénalités, de retenues sur honoraires et impose des modes et des délais de paiement inacceptables et démotivants. Les grilles salariales sont également contestables et relèvent soit d’une politique discriminatoire soit d’une volonté de diviser les enseignants.
La situation devient urgente puisque Communicaid exige une réponse rapide de notre part. Or, la majorité des professeurs concernés n’ont toujours pas confiance en cette société puisque certains d’entre nous travaillent déjà depuis plusieurs mois sans même avoir officiellement signé de contrat ni avoir été payés. De plus, si ce contractant a été choisi pour son approche pédagogique, nous nous demandons où se trouve la qualité dans le fait de réaliser des tests de placement par téléphone. De même, nous nous demandons pourquoi les questions d’approche pédagogique et de livres ne sont toujours pas clairement définies, pourquoi il a été demandé à certains enseignants de préparer eux-mêmes les programmes et parfois les examens de sortie ainsi que de laisser leurs préparations à la disposition de Communicaid sans possibilité de revendiquer la moindre propriété intellectuelle.
Nous tenons par ailleurs à vous informer que les professeurs d’espagnol qui collaborent avec l’Institut Cervantès ne pourront travailler aux I.E. que sous le régime indépendant, c’est-à-dire sans protection juridique. Ils ne pourront ni travailler comme salariés ni continuer à être inscrits à la Smart, une Asbl qui offre une protection juridique aux indépendants face à l’employeur en cas de litige. Précisons que l’Institut a offert en échange 33 euros par heure de cours alors que Communicaid n’offre pas plus de 29 euros et que ses premières offres partaient de 20 euros brut soit à peine plus de 10 euros nets, sans tenir compte du salaire actuel des enseignants.
Nous nous interrogeons sur de tels écarts et abus. Ceux-ci relèvent-ils de la politique des contractants ou l’état actuel du contrat d’appel d’offre impose-t-il des honoraires aussi bas et des conditions aussi dures pour que cela soit rentable pour les écoles concernées ?
Nous aimerions donc, entre autres, avoir accès aux détails de ce contrat afin d’en étudier le budget et d’avoir une évaluation du prix prévu par heure de cours.
La Commission est directement impliquée dans le choix du contractant qui se chargera d’assurer la qualité des formations mais comment garantir celle-ci face à de telles conditions de travail ?
Nous serions très heureux de pouvoir vous rencontrer pour échanger, dans un esprit constructif, points de vue et perspectives.
En vous remerciant pour l’attention que vous porterez à cette lettre, nous vous prions de croire, Madame, en l’expression de notre sincère considération.
Le collectif des enseignants de langue étrangère aux Institutions européennes de Bruxelles
Réponse de la DG ADMIN du 7 octobre 2009
Réf. ADMIN.A3 D(2009) 24850
Madame, Monsieur,
Je vous remercie de votre email du 16 juin 2009 et vous répond après avoir reçu des informations sur les premiers cours organisés par le nouveau contractant « Communicaid ».
D’abord, comme nous le savons tous, l’établissement de nouveaux contrats pour les services de formation, tant pour la formation linguistique que la formation générale, est toujours un exercice délicat, d’une part pour la Commission qui doit sélectionner le fournisseur le plus approprié et assurer la fourniture de services de formation de haut niveau, d’autre part pour les professeurs/consultants employés par les nouveaux contractants avec qui ils doivent négocier de nouveaux contrats d’emploi.
Bien que je sois consciente que ces négociations puissent s’avérer difficiles, il est clair qu’elles ne regardent que les professeurs/consultants et le contractant, la Commission n’intervenant en rien dans ce processus. C’est pourquoi je n’ai pas de commentaire à faire sur ces points repris dans votre email.
En tout cas, je suis heureuse de pouvoir constater que, dans la majorité des cas, les négociations semblent avoir abouti à un accord car une équipe complète de professeurs de langue de haut niveau est à présent en place. Or, « Communicaid » a déjà organisé avec succès deux séries de cours (les « cours intensifs d’été ») à partir du 20 juillet.
Soyez assurés que j’attache énormément d’importance à la qualité des cours de langues. L’unité centrale de formation et développement personnel, s’assurera bien sûr du respect des standards pour les formations en cours et interviendra à la constatation de la moindre baisse de qualité des prestations par rapport aux standards attendus. Cependant, jusqu’à ce jour une telle constatation n’a pas pu être faite.
Pour terminer, sachez qu’une réunion d’information sur ces questions se tiendra le 8 octobre prochain avec les collègues des organisations syndicales.
Irène SOUKA
Directeur général
Direction générale « Personnel et Administration »
Soyons solidaires: pour un salaire minimum décent aux professeurs / formateurs de langues dans les institutions européennes.
Suite à un récent appel d’offre lancé par la Commission Européenne, l’agence de communication gagnante propose aux professeurs un tarif horaire de 30 à 50% inférieur à celui payé actuellement par les écoles de langues. Une fois qu’ils ont payé leurs charges sociales et leurs impôts, il ne resterait aux enseignants qu’à peine 13€ de l’heure.
Cela est tout à fait inadmissible et ne permet pas, aux collègues enseignants de gagner leur vie, ce qui déjà leur pose problème avec les rémunérations actuelles.
Les Institutions Européennes (IE) exigent beaucoup de leurs professeurs, en termes de diplômes et d’expérience. En outre, les évaluations continues de leur travail sont constantes, à juste titre : la qualité est aussi exigée par les participants aux cours.
Nous n’acceptons pas que les formateurs en langues soient sous-payés. Qui accepterait de faire le même travail que précédemment à un tarif 30 à 50% plus bas ?
Garantir des cours de qualité n’est pas un luxe. La qualité du travail de milliers de fonctionnaires est liée à leurs compétences linguistiques acquises et leur promotion interne en dépend. .
La logique du « toujours moins cher » conduit à l’absurde.
Nous demandons aux I.E. de soutenir les formateurs en exigeant de la part des écoles fournissant des cours de langues qu’elles maintiennent l’emploi et, au minimum, le tarif horaire moyen en vigueur jusqu’à présent, c’est à dire 28,5€ de l’heure.
Seien wir solidarisch: Für ein angemessenes Mindestgehalt für die Sprachenlehrer an den Europäischen Institutionen
Bei einer unlängst von der Europäischen Kommission eingeleiteten Ausschreibung hat eine Kommunikationsagentur den Zuschlag erhalten. Sie bietet den Lehrern nun ein Honorar an, das 30 – 50% unter dem bisher von den jetzigen Sprachenschulen bezahlten Tarif liegt. Nach Abzug der Sozialabgaben und Steuern würden die Lehrer somit kaum 13 € pro Stunde verdienen.
Dies ist auf keinen Fall akzeptabel und erlaubt den Lehrerkollegen nicht, ihren Lebensunterhalt zu verdienen. Bereits mit der jetzigen Entlohnung ist das problematisch.
Die Europäischen Institutionen (EI) haben hinsichtlich Qualifikation und Erfahrung hohe Anforderungen an die Lehrenden. Darüber hinaus werden diese im Laufe ihrer Unterrichtstätigkeit fortlaufend evaluiert und das mit Recht: Auch die Kursteilnehmer erwarten qualitativ hochwertigen Unterricht.
Wir akzeptieren nicht, dass die Sprachenlehrer unterbezahlt werden. Wer wohl würde es hinnehmen, dieselbe Arbeit wie bislang für eine um 30 bis 50% geringere Bezahlung zu verrichten?
Eine Sicherstellung qualitativ hochwertiger Kurse kann es nicht umsonst geben. Die Qualität der Arbeit tausender Beamter steht in Verbindung mit deren erworbenen Sprachenkompetenzen und ihre interne Beförderung hängt davon ab.
Die Logik von „immer billiger und billiger“ führt ad absurdum.
Wir fordern die EI auf, die Lehrer zu unterstützen, indem sie von den beauftragten Sprachenschulen die Weiterbeschäftigung der jetzigen Lehrer verlangen, ebenso wie die Bezahlung des bis jetzt geltenden durchschnittlichen Stundentarifs (28,50 €/Stunde).
Let’s show our solidarity: Yes to a decent minimum salary for the teachers/language trainers working in the European Institutions
Following a recent call for tender launched by the European Commission, the winning communication agency is offering teachers an hourly rate which is 30 – 50% lower than that currently paid by language schools operating in the Institutions. Once they have paid their social security and taxes, teachers will scarcely be earning 13€ an hour.
This is completely unacceptable and does not allow our teaching colleagues to earn a decent living, something which is already difficult on their current salary.
The European Institutions (EI) demand a lot from their teachers as far as qualifications and experience are concerned. What’s more, teachers are subject to continuous assessment, and rightly so: quality is also demanded by those participating in classes.
We refuse to accept that the language trainers be underpaid. Who would be prepared to do the same work as before for a 30 – 50% pay cut?
Guaranteeing quality courses is not a luxury. The quality of work of thousands of officials is linked to their language skills and their internal promotion depends on the acquisition of these skills.
This ‘always the cheapest’ logic is getting out of control.
We are calling upon the EI to support the teachers by asking the schools providing language courses to keep on employing the current teachers and pay them at least the hourly rate presently in force (28.50€/hour).
See the petition (2009) – 1600 collègues ont signé (pétition close)