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Cantines et cafétarias

Témoignage sur le service restauration à la Commission : l’expérience culinaire sur le site de Bruxelles

La Commission européenne est fière de son efficacité, de son envergure et, de plus en plus, de ses repas maison. Depuis 2020, les services de restauration à Bruxelles sont gérés selon un modèle semi-internalisé : les cuisines et les équipements appartiennent à l’institution, la gestion est assurée en interne, mais la plupart du personnel est externalisé. L’idée était de garder le contrôle de la qualité, d’éviter la dépendance vis-à-vis des concessionnaires et même de récupérer quelques marges.

Quatre ans plus tard, les chiffres laissent un arrière-goût amer. Ce qui a commencé avec 300 repas par jour au Berlaymont est passé à 7 500 les jours de pointe du télétravail (les mardis et jeudis).

« …aujourd’hui, nous sommes partis de… eh bien, nous sommes partis de la fin de l’année 2020 au Berlaymont, où nous avions 300 repas par jour, et… nous en sommes maintenant à 7 500. Et ça va encore augmenter. Donc, chaque année, je dis à mes équipes :  » Vous verrez, l’année prochaine ça va se stabiliser « . Et ça ne se stabilise pas. Chaque année, nous avons la pression pour ouvrir plus de cafétérias, pour ouvrir plus de restaurants. Nous pensions donc pouvoir nous stabiliser un peu, mais ce n’est pas le cas. C’est… c’est une machine qui se développe… »

L’expansion se poursuit sans relâche : de nouvelles cafétérias et de nouveaux restaurants ouvrent à Loi, Montoyer et au-delà. Pourtant, aucun site ne fonctionne à l’équilibre financier. Les responsables admettent qu’ils couvrent les pertes alimentaires par des marges sur les boissons et le café.

Le coût est inévitablement supporté par le personnel. Une modeste augmentation des prix de 4,2 % a été confirmée pour 2025. Cela semble peu, mais cela s’accumule vite. Avec des collègues qui télétravaillent trois jours par semaine, beaucoup dépensent encore 100 à 200 euros par mois pour les déjeuners à la cantine de la Commission. À la fin du mois, la facture s’alourdit.

Les prix augmentent également au sein du réseau de cantines des bâtiments bruxellois de la Commission. Le plat du jour était autrefois vendu 5,50 euros ; aujourd’hui, le plat végétarien ou les pâtes « budget » coûtent 5 à 6 euros, tandis que tout ce qui dépasse le prix de base grimpe rapidement vers les 10 à 15 euros. Le personnel déplore que les portions aient diminué, que les ajouts (légumes, accompagnements) apparaissent comme des suppléments cachés et que la qualité varie fortement d’un bâtiment à l’autre. « Avant le COVID, la cantine était deux fois moins chère qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, on a parfois l’impression de sortir à l’extérieur », a fait remarquer un participant lors d’une récente réunion du comité local du personnel.

Le paradoxe est encore plus marqué pour les personnes appartenant aux groupes de fonctions les plus bas ou pour les stagiaires. Pour eux, les repas à la cantine ne sont pas une commodité mais un luxe. Un déjeuner quotidien de 12 à 15 euros représente une part insoutenable d’une allocation ou d’un salaire de débutant. Il n’est donc pas surprenant que davantage de membres du personnel apportent de la nourriture de chez eux. Réchauffer les restes dans les bureaux à aire ouverte permet d’économiser de l’argent, mais génère des plaintes concernant les odeurs.

L’administration insiste sur le fait que la qualité s’est améliorée depuis les anciens contrats de concession et souligne que les cantines de la Commission sont moins chères que celles de certaines autres institutions de l’UE. Mais les critiques notent que le modèle semi-internalisé s’accompagne de maux de tête bureaucratiques et de coûts de main-d’œuvre plus élevés. Les coûts du personnel externe ont augmenté de plus de 30 % depuis le dernier appel d’offres.

« En 2024, notre premier appel d’offres sur la main-d’œuvre externe a pris fin et nous avons donc lancé un deuxième appel d’offres. Finalement, l’organisation retenue a été choisie et a bénéficié d’une augmentation de prix d’environ 30 % par rapport à ce que nous avions auparavant pour la main-d’œuvre externe. C’est quelque chose qui va nous mettre en difficulté ».

Les règles de passation des marchés interdisent les achats opportunistes, de sorte que les responsables ne peuvent pas s’emparer des surplus alimentaires à prix réduit. Les fournisseurs, confrontés à la paperasserie et aux retards, intègrent simplement les coûts administratifs dans leurs prix.

 » Nous sommes soumis à la réglementation financière, je ne peux donc pas faire tout ce que je veux, je ne peux pas aller au marché et dire qu’il y a un lot de poisson à consommer au plus tard demain… Je l’achèterai à 50 % de réduction. Je ne peux pas faire cela« .

Qualité, quantité et expérience du client

Malgré tous les discours sur l’équilibre financier, la plupart des employés se soucient de la qualité de ce qu’ils ont dans leur assiette. Sur ce point, les avis divergent. En résumé, le modèle est lourd, coûteux et non viable. Des alternatives existent. Sur le site de la Commission à Ispra, en Italie, un restaurant Clubhouse géré par du personnel interne sert des repas décents pour environ 8 euros. D’autres préconisent la ré-externalisation vers des traiteurs privés. Quoi qu’il en soit, le système bruxellois est sous pression.

Plusieurs collègues se plaignent que les « options budgétaires » – généralement des pâtes ou un plat végétarien – sont répétitives et décevantes. La taille des portions est souvent jugée trop petite et les suppléments cachés (« voulez-vous des légumes avec ça ? ») peuvent doubler le prix prévu d’un plat du jour. Un membre du personnel a noté qu’au Loi 41, un plat annoncé à 5,50 euros est devenu 10 euros une fois les accompagnements ajoutés. Un autre déplore que, pour ceux qui se contentent des repas les moins chers, la qualité n’est tout simplement « pas terrible ».

D’autres soulignent l’incohérence : les menus promettent parfois un plat, mais des substituts arrivent lorsque les livraisons n’ont pas eu lieu. Les chefs, insistent les gestionnaires, sont contraints à la « flexibilité et à la créativité » lorsque le poisson commandé se transforme en livraison de porc.

L’administration, quant à elle, brosse un tableau plus rose de la situation. « Je suis viscéralement convaincu qu’en quatre ans, nous n’avons jamais aussi bien mangé à la Commission », a déclaré le fonctionnaire responsable, citant l’analyse comparative avec d’autres institutions et les commentaires de clients satisfaits. Pour lui, l’internalisation a permis d’obtenir une nourriture de meilleure qualité que le modèle des concessionnaires n’a jamais pu le faire.

Entre ces deux récits se cache une réalité plus nuancée : si la qualité s’est effectivement améliorée dans le haut de gamme, les repas les moins chers – ceux qui sont les plus essentiels pour les stagiaires et le personnel subalterne – restent peu inspirants, et ce sont précisément ceux pour lesquels la qualité compte le plus.

Le besoin le plus immédiat est toutefois d’ordre social. Les représentants du personnel demandent des subventions ciblées : 2 euros par repas pour les agents contractuels les plus modestes, 1 euro pour les stagiaires. Même cette mesure serait plus symbolique que transformatrice. Si rien n’est fait, la cantine risque de devenir un autre marqueur visible de l’inégalité au sein de la Commission : un endroit où les fonctionnaires les mieux payés s’attardent autour d’un expresso, tandis que les plus jeunes se dirigent vers le micro-ondes.

Pour une institution soucieuse de donner une image de solidarité et d’équité, ce n’est pas un bon exemple.