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Middle management : mobilité forcée et nouvelles règles de nomination

19 mai 2016

La mobilité forcée et les nouvelles règles de nomination permettront-elles d’utiliser les talents et de garantir l’indépendance des chefs d’unité?

La Commission prépare une décision sur le « middle management » qui concerne ses 1126 chefs d’unité, tous grades confondus. Les motifs invoqués par la Commission renvoient à deux considérations:

  • La qualité des chefs d’unité doit être améliorée et nécessite un accompagnement professionnel.
  • La mobilité est nécessaire à l’utilisation des talents. Réelle à l’intérieur des DG (de trois ans et demi en moyenne), elle est, par contre, très faible entre directions générales.

Cette décision sur le middle management est cruciale car bien évidemment, au-delà de l’avenir même des chefs d’unité, c’est aussi la vie quotidienne de milliers de collègues fonctionnaires, temporaires et agents contractuels qui va être affectée. De ce point de vue, on ne peut que se réjouir que cette décision, qui devait être mise en œuvre hâtivement le 1er janvier 2016, ait été retardée, grâce à notre action.

Ce qui a été proposé par la Commission peut en effet avoir de vastes effets sur la culture de l’organisation. Il faut éviter l’application mécanique et impersonnelle de systèmes de mobilité impératifs et autoritaires, inspirés par des théories optimistes mais décalées par rapport aux nécessités. Il faut une mobilité qui mette en avant le potentiel des chefs d’unité ou des candidats à de tels postes, plutôt qu’un système qui les pénalise ou les fasse vivre dans l’angoisse d’un changement irrationnel et non maîtrisé. Il faut privilégier une culture d’organisation basée sur la confiance et sur la reconnaissance, qui vise à développer le potentiel de chacun. Il faut éviter les mobilités imposées et les « réversibilités » punitives et inexpliquées qui caractérisent ce projet. Pour cela, il faut mettre en place une phase pilote de mobilité volontaire, l’évaluer et ensuite proposer une politique de mobilité adéquate.

Deux éléments importants de ce projet de décision méritent une plus ample réflexion.

LA MOBILITE FORCEE

Ce projet envisageait une mobilité forcée pour les chefs d’unité qui ont déjà occupé deux postes dans la même DG pendant un minimum de 10 années et un maximum de 12 années. Cette mobilité serait encadrée par la DG HR qui fixerait des objectifs par DG et organiserait ces mobilités collectives deux fois par an. Les chefs d’unité appelés à devenir mobiles seraient alors appelés à poser leur candidature dans d’autres DG puis à passer des entretiens; sur base de quoi, chaque DG concernée proposerait une short-list de minimum 3 candidats par postes. Ce qui frappe dans ce scénario c’est que:

  • Cette mobilité forcée est mal justifiée. Certes, la mobilité est généralement bonne mais la DG HR peine à expliquer pourquoi il faut une mobilité forcée et quels problèmes cette mobilité forcée est supposée régler. La DG HR n’a fourni aucun diagnostic précis sur les problèmes que la non-mobilité inter DG engendre au niveau des chefs d’unité.
  • Cette mobilité forcée devrait être importante en volume dès 2016. La DG HR ne fait aucun mystère du fait que la VP Georgieva veut « bousculer la maison ». Aucune information précise n’a été donnée par la DG HR lors du dialogue social mais il semblerait que 200 chefs d’unité sur 1126 pourraient être concernés par une mobilité forcée en 2016. Une telle décision pourrait avoir des effets néfastes pour la Commission et son personnel si elle n’était pas strictement encadrée au bénéfice de tous, chefs d’unité et personnels des unités. Comme l’ont demandé de nombreuses DGs, des objectifs pluriannuels négociés devraient plutôt voir le jour et faire l’objet d’une flexibilité et d’une évaluation année par année. Il est même souhaitable de penser à une période de transition où le système serait testé à moyenne échelle et ferait l’objet d’une évaluation transparente par un comité paritaire ad hoc.
  • Cette mobilité forcée pose un problème sérieux d’utilisation des compétences au cœur même de l’approche de la VP Georgieva. Aura-t-on nécessairement dans le pool des chefs d’unité en mobilité forcée des compétences interchangeables? La DG HR s’est-elle engagée à utiliser des dérogations pour empêcher de perdre des compétences spécialisées à des moments cruciaux. Cependant Il n’est pas certain que le match-making soit parfait. Que se passera-t-il lorsque des DG n’auront pas de candidats compétents pour certains postes? Que se passera-t-il si des chefs d’unité en mobilité forcée ne sont pas jugés compétents pour aucun des postes auxquels ils postulent? Que se passera-t-il si des DGs doivent prendre des chefs d’unité ‘moyennement’ compétents ? Seront-elles soutenues par des moyens supplémentaires en formation par exemple ? C’est donc bien l’efficacité de la Commission qui est en jeu.
  • Cette mobilité forcée devient l’occasion pour la DG HR de jouer un rôle important dans la nomination des chefs d’unité. En d’autres termes, c’est la DG HR qui procèdera aux nominations de certains chefs d’unité en mobilité forcée, retirant ainsi des mains des Directeurs Généraux leur pouvoir traditionnel d’AIPN. On peut certes espérer ainsi que la DG HR joue un rôle de police de la mobilité a priori positif : encore faut-il que ce changement d’AIPN soit clair et permette en toutes circonstances une consultation entière des Directrices Générales/Directeurs Généraux concernés.
  • Cette mobilité forcée laisse la porte grande ouverte à une nouveauté fondamentale qui est la nomination, dans des postes hors management, des candidats ayant échoué à trouver un poste lors des exercices de mobilité forcée. Certes, ces candidats bénéficieront d’une année de sursis pour repostuler à d’autres postes de chefs d’unité, soit lors de la mobilité forcée, soit à l’occasion de la publication de postes de chefs d’unité. Toutefois, l’encadrement de ces chefs d’unité en sursis paraît pour le moins flou. Or, il importe d’éviter que la mobilité forcée ne se transforme en une élimination de prétendus mauvais chefs d’unité sur des bases particulièrement contestables. Ce qui est en jeu, ni plus ni moins, c’est l’indépendance des chefs d’unité et de la fonction publique européenne en général.
  • Cette mobilité forcée ne concerne que les chefs d’unité de la Commission sur ses sites principaux et pas les chefs de représentation et de délégation, ni les chefs d’unité détachés en agence. Pour autant, le projet reconnaît que la question des sites est importante : il n’est pas évident de trouver des candidats pour Luxembourg ou Ispra ni des candidats de Luxembourg ou Ispra souhaitant postuler à Bruxelles; dans ces cas, il semblerait que le réalisme l’ait emporté. De manière intéressante, les chefs d’unité en détachement ne sont pas concernés, ce qui signifie que les chefs d’unité dans les agences exécutives, de plus en plus nombreux sont destinés à rester en agence. Voilà qui ne correspond pas à l’approche pourtant revendiquée, notamment dans les 9 DGs de la famille recherche, de faire passer les chefs d’unité de poste politiques à des postes opérationnels et vice-versa.

NOMINATION DES CHEFS D’UNITE

Le principe général du projet de décision sur le middle management reste traditionnel en ce sens qu’il consacre la compétence quasi-exclusive des Directeurs Généraux comme AIPN pour les chefs d’unité. Néanmoins, un certain nombre d’évolutions ou de silences méritent d’être relevé.

  • Le projet sur les nominations des chefs d’unité ne dit rien sur leur formation préalable. Il est intéressant de constater que les chefs d’unité en poste doivent faire une mobilité hors DG après deux postes et au moins 10 ans dans la même DG alors que les candidats à des postes de chefs d’unité ne sont astreints à aucune obligation équivalente de mobilité pour être éligibles. On obligerait donc à la mobilité des gens qui n’ont aucune expérience antérieure de mobilité au sein de la Commission. Il convient de commencer par le commencement et d’organiser une mobilité inter-DG pour les candidats jugés compétents pour postuler à des postes de chefs d’unité, ce qui implique détection et accompagnement des talents. Tout candidat devrait avoir une expérience d’au moins deux fois trois ans dans deux DG différentes (hors réorganisation factice). Par ailleurs, il paraît hasardeux de nommer comme chefs d’unité des candidats qui n’ont aucune expérience avérée de chefs d’équipe (comme par exemple les assistants de Directeurs Généraux et les membres de cabinet) alors que le projet de décision de la Commission insiste, à juste titre, sur les responsabilités et compétences des chefs d’unité comme « chefs d’un collectif ». On attend donc de la Commission que les faits suivent les déclarations d’intention sur les capacités requises pour le middle management.
  • Le projet sur les nominations des chefs d’unité prévoit qu’avant la décision finale, la Directrice générale/le Directeur Général consulte la/le Commissaire responsable. L’utilité de cette mesure ne paraît pas évidente. Est-il possible que la/le Commissaire puisse s’opposer à un processus de recrutement suffisamment transparent pour des raisons politiques? Il va de soi qu’il faut éviter une politisation des recrutements des chefs d’unité qui amènerait à ignorer la politique de détection des talents et d’utilisation des compétences prônée par la Commission même.
  • Le projet sur les nominations des chefs d’unité prévoit que les chefs d’unité puissent être candidats à des postes AD9 à partir du grade AD8 + 2 ans d’expérience. On peut donc prévoir que des candidats AD8 recrutés en moyenne à 34 ans en AD5, avec 2 à 3 ans d’ancienneté par grade, puissent devenir chef d’unité après une expérience suffisante du contexte de travail de la Commission européenne. Contrairement aux propositions de Génération 2004, il ne paraît pas souhaitable d’ouvrir la carrière de chef d’unité à des fonctionnaires AD5 même s’ils ont une expérience avérée d’encadrement mais aucune expérience suffisante du cadre et du contexte organisationnel et politique de la Commission.
  • Le projet sur les nominations des chefs d’unité prévoit enfin que les chefs d’unité puissent perdre leur poste et leur titre de chef d’unité lors d’une réorganisation. La Directrice Générale/Le Directeur Général n’est pas obligé(e) de trouver un poste aux chefs d’unité en place et en plus, désormais, les postes de conseillers ne pourront plus être utilisés pour parachuter les chefs d’unité devenus indésirables ou encombrants. Le projet est particulièrement flou et prévoit seulement que les chefs d’unités concernés seront nommés dans un poste  hors management avec, pendant un an, le bénéfice des dispositions de l’article 44, paragraphe 2 du Statut. Ce qui pourrait être remis en cause, c’est l’indépendance des chefs d’unité. Malheur à ceux qui ne seraient pas des « yes men » et des « yes women » dans leurs DGs. Il est donc essentiel d’encadrer très clairement le pouvoir des Directrices Générales/Directeurs Généraux lors des réorganisations afin que les décisions graves amenant à ne pas confirmer les chefs d’unité dans leurs fonctions soient prises en toute transparence et avec les justifications nécessaires et qu’ensuite un accompagnement de ces personnes soit proposé.

CONCLUSIONS

U4U est d’accord sur le principe qu’une mobilité accrue et bien encadrée devrait permettre une meilleure utilisation des talents et une satisfaction accrue pour les chefs d’unité et donc pour le personnel en place dans les unités.

Néanmoins, U4U exprime de très fortes réserves sur l’état actuel du projet de décision sur le middle management. D’une part, ce projet échoue à donner des analyses sérieuses sur les raisons de la mobilité forcée et, dans la pratique, des garanties sur l’utilisation des compétences. D’autre part, il compromet gravement l’indépendance des chefs d’unité, en faisant de la mobilité forcée l’antichambre de décisions de retirer leurs fonctions aux chefs d’unité qui subitement ne seraient plus jugés compétents, et en donnant l’occasion aux Directrices Générales/directeurs Généraux de dégrader des chefs d’unité en administrateurs ou administrateurs principaux.

U4U concède que les chefs d’unité puissent, dans des cas dûment justifiés, perdre leurs fonctions mais cette perte de fonctions doit se faire à l’issue d’une analyse objective et complète de leurs compétences. La philosophie de la politique de mobilité ne doit pas être de sanctionner ou de maintenir dans la peur les chefs d’unité au risque de leur faire perdre leur indépendance et leur stature morale dans l’institution. Elle doit être fondée sur l’utilisation des talents et se donner les moyens de cette ambition. Dans l’état actuel, le projet échoue à donner de telles garanties et fait de la mobilité forcée et des réorganisations des expériences stressantes, voire potentiellement punitives, qui risquent d’affecter grandement l’efficacité et l’indépendance du middle management.

Afin de contrecarrer tous ces risques, U4U propose

1) une phase – pilote basée sur la mobilité volontaire des chefs d’unité, suivi d’une évaluation au bout de deux ans,

2) une politique solide d’accompagnement des chefs d’unité en mobilité, pour maximiser l’utilisation de leurs talents,

3) la promotion d’un opt out volontaire pour les chefs d’unité qui souhaitent abandonner leurs fonctions.

Encadrement intermédiaire, chefs d’unité